La gestion d’une copropriété est un exercice d’équilibre délicat entre la nécessité d’entretien, la maîtrise des charges et l’obligation de transparence. Au cœur de cet enjeu financier et légal se trouve la Mise en Concurrence en Copropriété pour les marchés de travaux et les contrats de services. C’est un mécanisme fondamental, bien que souvent source de confusion et de litiges, qui vise à garantir que le syndicat des copropriétaires obtienne le meilleur service au meilleur prix. Nous allons décortiquer les règles, analyser la jurisprudence et fournir un guide complet pour une gestion des devis conforme.
I. Le Cadre Légal : Fondements de la Mise en Concurrence en Copropriété
L’obligation de mettre en concurrence les marchés de travaux et les contrats en copropriété est un principe directeur inscrit dans les textes fondateurs du droit de la copropriété en France. Il ne s’agit pas d’une simple bonne pratique, mais d’une exigence légale qui engage la responsabilité du syndic et conditionne la validité des décisions prises en Assemblée Générale (AG).
1. Les Textes de Référence
Le dispositif légal est principalement structuré autour de deux articles cruciaux :
- L’Article 21 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 : Ce texte confère à l’Assemblée Générale (AG) le pouvoir de fixer, à la majorité de l’article 25 (majorité des voix de tous les copropriétaires), un seuil financier. Au-delà de ce montant, la Mise en Concurrence en Copropriété pour les marchés et contrats (hors contrat de syndic, qui suit une règle spécifique) devient obligatoire.
- L’Article 19-2 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 : Ce décret détaille les modalités pratiques. Il précise notamment que, lorsque l’AG n’a pas fixé les conditions de la mise en concurrence (au-delà du seuil), celle-ci résulte de la demande de plusieurs devis ou de l’établissement d’un devis descriptif soumis à l’évaluation de plusieurs entreprises.
Ces deux textes instaurent un devoir de diligence pour le syndic et une prérogative souveraine pour l’AG. L’esprit de la loi est clair : garantir une gestion financière transparente et éclairée par une comparaison d’offres.
2. La Souveraineté de l’Assemblée Générale : La Fixation du Seuil
Le point de départ de toute obligation de Mise en Concurrence en Copropriété est la décision de l’AG de fixer un montant plancher. Ce seuil varie d’une copropriété à l’autre, se situant généralement entre 1 000 € et 5 000 € TTC, selon la taille de l’immeuble et l’historique des travaux.
Une fois ce seuil voté et inscrit au procès-verbal, il devient une règle interne impérative. Le syndic doit alors s’y conformer rigoureusement. Si, par exemple, le seuil est fixé à 3 000 € et qu’un devis de 3 500 € pour la réfection d’une partie commune est présenté avec une seule offre, la résolution est, de facto, illégale. Une telle résolution est susceptible d’être annulée en justice.
II. Les Précisions Jurisprudentielles : Décrypter la Mise en Concurrence en Copropriété
Les textes légaux ne suffisent pas toujours à lever les ambiguïtés. La jurisprudence de la Cour de cassation, autorité suprême en la matière, a apporté des éclaircissements essentiels, contredisant parfois des idées reçues tenaces au sein des copropriétés.
1. La Question Délicate de l’Absence de Seuil Voté
C’est un point de droit majeur et contre-intuitif qui a fait couler beaucoup d’encre. La Cour de cassation, dans un arrêt remarqué du 26 mars 2014 (n°13-10.693), a affirmé que l’obligation de mise en concurrence ne s’applique pas si l’Assemblée Générale n’a pas préalablement fixé le montant des marchés et contrats à partir duquel cette obligation est rendue obligatoire. 🤯
Bien que cette interprétation semble affaiblir l’esprit de transparence de la loi, elle est la règle. Si l’AG n’a jamais pris de décision sur ce seuil, le syndic est dégagé de l’obligation formelle de mettre en concurrence, même pour des sommes importantes. C’est pourquoi le Conseil Syndical (CS) doit impérativement veiller à ce que la fixation de ce seuil soit inscrite et votée régulièrement à l’ordre du jour.
2. Le Vrai Nombre de Devis Requis : « Plusieurs » n’est pas « Trois »
Combien de devis faut-il ? C’est une question récurrente. L’idée populaire veut qu’il faille obligatoirement trois devis pour respecter la Mise en Concurrence en Copropriété. Or, la jurisprudence est venue démentir cette exigence stricte.
- Deux devis suffisent : L’article 19-2 du décret de 1967 utilise l’expression « plusieurs devis ». La jurisprudence a constamment confirmé que la présentation de deux devis ou contrats distincts, émanant d’entreprises différentes, est suffisante pour satisfaire à l’obligation, sauf si le règlement de copropriété ou une décision d’AG précédente exige un nombre supérieur.
- La comparaison est essentielle : Un arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 2015 a même validé une mise en concurrence établie par la comparaison entre le contrat du prestataire en place et un seul devis nouveau émanant d’une autre entreprise. L’important n’est pas le nombre absolu, mais la capacité de l’AG à comparer et à faire un choix éclairé.
3. Sollicitation ou Réponse ? La Nuance Cruciale
Une autre clarification majeure concerne l’effort de recherche du syndic. Que se passe-t-il si le syndic sollicite trois entreprises, mais que seule une ou deux répondent ?
La Cour de cassation (notamment dans un arrêt du 27 novembre 2013 et réaffirmé le 9 mars 2022) a établi que l’obligation est respectée dès lors que le syndic a démontré qu’il a sollicité plusieurs entreprises, même si celles-ci n’ont pas toutes répondu. L’essence de la Mise en Concurrence en Copropriété est dans la démarche proactive de demande d’offres, et non dans le résultat des réponses reçues. Le syndic doit toutefois être en mesure de prouver qu’il a effectué ces démarches (par exemple, par des courriels ou des courriers de demande de devis).
III. Les Irregularités Courantes et la Responsabilité du Syndic
Malgré la clarté des textes et de la jurisprudence, les irrégularités dans la gestion des devis sont fréquentes et peuvent avoir des conséquences sérieuses, allant de l’annulation d’une décision au tribunal à l’engagement de la responsabilité financière du syndic.
1. Le Non-Respect du Seuil Voté : L’Illégalité Manifeste
Le cas le plus simple, mais le plus souvent contesté, est celui où le syndic présente un seul devis pour un montant largement supérieur au seuil voté par l’AG. Si, comme dans l’exemple initial, l’AG a voté un seuil de 5 000 € et qu’un devis de 7 671 € est soumis à un vote unique, la résolution est illégale car elle contrevient à une règle interne que l’AG a elle-même fixée.
👉 Un copropriétaire opposant ou défaillant est alors en droit de saisir le tribunal judiciaire pour demander l’annulation de la décision dans le délai strict de deux mois.
2. La Modification Unilatérale du Contrat : La Faute de Gestion
Une situation plus complexe survient lorsque l’AG vote une résolution sur la base d’un devis précis, mais que le syndic signe ensuite un contrat comportant des conditions différentes, par exemple sur les modalités de règlement, le prix final, ou le périmètre des travaux.
Dans ce cas, l’analyse juridique est double :
- Validité envers l’Entreprise Tiers : Le contrat signé par le syndic (même s’il a outrepassé son mandat) engage le syndicat des copropriétaires vis-à-vis du prestataire. L’entreprise est en droit d’exiger l’exécution du contrat tel que signé.
- Responsabilité du Syndic : En signant un contrat dont les termes diffèrent de ceux approuvés par l’AG, le syndic commet une faute de gestion en dehors de son mandat. Le syndicat des copropriétaires, représenté par le nouveau syndic ou un administrateur provisoire, peut alors engager une action récursoire contre l’ancien syndic pour obtenir réparation du préjudice financier subi (par exemple, le coût supplémentaire des conditions de règlement moins favorables). 💸
3. Le Conflit d’Intérêts : L’Obligation de Transparence
L’article 21 de la loi de 1965 impose au syndic de ne pas avoir de lien de nature à mettre en cause son impartialité avec le ou les fournisseurs dont il propose les contrats. S’il existe un partenariat, un lien capitalistique ou un avantage personnel entre le syndic et l’entreprise proposant un devis, il y a conflit d’intérêts. Un manquement à cette obligation de transparence, même s’il ne conduit pas forcément à l’annulation du contrat avec le tiers, peut constituer une faute grave dans la gestion du syndic et justifier sa révocation ou une action en responsabilité.
IV. Stratégie Proactive : Maîtriser les Enjeux de la Mise en Concurrence en Copropriété
Pour le copropriétaire, le Conseil Syndical ou même le syndic professionnel soucieux de bien faire, une approche proactive est la clé pour éviter les contentieux.
1. Rôle et Pouvoirs du Conseil Syndical (CS)
Le Conseil Syndical est le garant de la bonne application des règles. Il joue un rôle crucial dans le processus de Mise en Concurrence en Copropriété :
- Établissement du Cahier des Charges : Le CS doit aider à définir précisément le besoin (cahier des charges) pour que les entreprises répondent sur une base de comparaison identique. Des devis ne peuvent être valablement comparés s’ils ne portent pas sur les mêmes prestations.
- Aide à la Recherche de Devis : Le CS a la faculté de proposer lui-même des entreprises concurrentes et de demander l’inscription de leurs devis à l’ordre du jour.
- Contrôle de la Légalité : Le CS doit vérifier que le syndic joint l’ensemble des devis demandés à la convocation et que la résolution présentée au vote respecte le seuil de mise en concurrence voté.
2. Procédures d’Action et Voies de Recours
En cas de manquement avéré à l’obligation de Mise en Concurrence en Copropriété, les copropriétaires disposent d’un arsenal de recours, dont l’efficacité dépend de la rapidité et du formalisme.
| Étape | Action Clé | Objectif et Modalités |
| 1. Information | Lettre Recommandée avec AR (LRAR) | Adresser une mise en demeure au syndic, documentant l’irrégularité (absence de devis, non-respect du seuil, etc.) et lui demandant de s’expliquer. |
| 2. Mobilisation | Saisine du Conseil Syndical | Demander au CS de prendre position, de vérifier les démarches du syndic et d’exiger la présentation des preuves de sollicitation des entreprises. |
| 3. Judiciaire | Contestation d’AG (Tribunal Judiciaire) | Si la décision a été votée sans mise en concurrence, les opposants et défaillants peuvent agir. Délai impératif : 2 mois à compter de la notification du procès-verbal. L’assistance d’un avocat est obligatoire. |
| 4. Sanction | Révocation du Syndic | Inscrire à l’ordre du jour le non-renouvellement du mandat du syndic et la mise en concurrence de plusieurs projets de contrat de syndic pour faute de gestion. |
Le délai de deux mois pour la contestation est un délai de déchéance, c’est-à-dire qu’une fois dépassé, il n’est plus possible d’agir en justice contre la décision, même si celle-ci était illégale. D’où l’importance de l’anticipation et de la vigilance à la réception du PV d’AG. ⏳
V. FAQ Mise en Concurrence en Copropriété
Voici les réponses aux questions les plus fréquentes sur la Mise en Concurrence en Copropriété.
Faut-il obligatoirement trois devis pour respecter la Mise en Concurrence en Copropriété ?
Non. La loi utilise l’expression « plusieurs devis ». La jurisprudence a constamment confirmé que la présentation d’un minimum de deux devis ou contrats distincts est suffisante pour satisfaire à l’obligation de Mise en Concurrence en Copropriété, sauf si le règlement de copropriété ou une décision d’AG a fixé un nombre supérieur (par exemple, trois devis).
Que se passe-t-il si l’Assemblée Générale n’a jamais fixé de seuil pour la mise en concurrence ?
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 26 mars 2014), s’il n’y a pas de résolution votée par l’AG fixant le seuil financier au-delà duquel la Mise en Concurrence en Copropriété est obligatoire, cette obligation ne s’applique pas formellement au syndic pour les travaux et contrats. Il est toutefois vivement recommandé de faire voter cette résolution lors de la prochaine AG pour sécuriser la gestion de la copropriété.
Le syndic est-il fautif si j’ai trouvé un devis moins cher après le vote de l’AG ?
La faute du syndic ne réside pas dans l’existence d’un devis moins cher, mais dans le non-respect des règles de la Mise en Concurrence en Copropriété. Si le syndic a respecté le seuil et présenté les devis demandés, la décision de l’AG (même si elle choisit l’offre la plus chère) est valide. Le syndic commet une faute uniquement s’il n’a pas mis en concurrence le marché ou s’il a signé un contrat aux conditions différentes de celles votées.
Quel est le délai pour contester une décision d’AG prise sans mise en concurrence ?
Le délai légal pour contester une décision d’Assemblée Générale est de deux mois à compter de la notification du procès-verbal de l’AG (Article 42 de la loi de 1965). Ce délai est strict et de rigueur, passé ce terme, la décision devient définitive, même si elle était illégale en raison d’un défaut de Mise en Concurrence en Copropriété.
Conclusion : L’Exigence d’une Mise en Concurrence en Copropriété
La Mise en Concurrence en Copropriété est bien plus qu’une formalité administrative ; c’est le cœur de la bonne gestion financière et un rempart contre les ententes et les surcoûts. Elle exige du syndic une rigueur sans faille et des copropriétaires une vigilance active. La jurisprudence a affiné les contours de cette obligation : elle n’est pas absolue sans la fixation d’un seuil par l’AG, mais elle est implacable une fois ce seuil établi.
Pour toute copropriété souhaitant s’assurer d’une gestion saine, la première action est de vérifier que le seuil de mise en concurrence est clairement défini et voté. La seconde est de s’assurer, via le Conseil Syndical, que pour tout marché dépassant ce montant, au moins deux devis comparables soient annexés à la convocation et soumis au vote. L’information et la comparaison sont les clés pour dépenser l’argent commun à bon escient.
